François-Yves Besnard, une passion angevine
Martine Taroni docteur en histoire
Que reste-t-il aujourd’hui de François-Yves Besnard? Un écrit qui semble familier « Souvenirs d’un nonagénaire » aujourd’hui retrouvé et édité pour la première fois dans son intégralité[1]. À Angers, une petite rue porte encore son nom. Pour les sarthois, il représente une figure marquante du Directoire.
[1] Martine TARONI, Un prêtre en révolution, François-Yves Besnard, Souvenirs d’un nonagénaire, collection mémoire commune, PUR, 2011, 399p.
Le récit de sa vie est étroitement lié à l’histoire des provinces d’Anjou et du Maine. Ses vingt-huit premières années s’écoulent d’abord au prieuré de Saint-Aubin des Alleuds, puis à Angers où il étudie la théologie pour devenir prêtre. Le jeune angevin est d’abord façonné par les valeurs de l’Anjou puis éclairé par les idées nouvelles du monde effervescent de la Révolution. Pendant les 19 ans passés dans le Maine, François-Yves Besnard s’implique dans la vie publique ; son action est celle d’un modéré, entre conservatisme et progrès. Chassé, il revient naturellement en Anjou et s’installe dans la région de Fontevraud pour s’adonner à sa passion, l’horticulture. Le mémorialiste établit un rapport intime avec la terre d’Anjou aux spécificités marquées et reste toute sa vie très lié au réseau des amitiés qu’il a formées dans sa jeunesse.
A son arrivée à Nouans dans le Maine en 1780, il avait été un objet de défiance de la part de ses paroissiens. Ses relations, ses goûts, le désignent comme un angevin. Cette identité silencieuse, lui est révélée brutalement lors de la diffusion du pamphlet de Mortier–Duparc[2]. A la fin du Directoire Besnard fait alors l’objet de campagne de presse calomnieuse qui le conduit à l’échec politique, il est contraint de quitter le département de la Sarthe. Ses adversaires politiques sarthois lui reprochent, entre autres, ses partis pris angevins, ses amis angevins, son identité angevine. Pourtant les deux provinces voisines sont sœurs. Même si chacune d’elle est modelée par ses paysages, son climat et son histoire, elles obéissent à un même élément fort de leur culture ; une coutume de stricte égalité durablement appliquée[3]. De plus, les deux provinces des pays de l’Ouest entretiennent des liens étroits depuis toujours. Alors comment expliquer ce statut d’étranger attribué à Besnard ? Est-il le révélateur d’une identité angevine ?
[2] Pierre MORTIER-DUPARC, Sur l’une des calamités qui affligent le département de la Sarthe et le désir d’y voir porter remède, Paris an VII, in-8°.
[3] Anne FILLON, Gens d’Ouest, contribution à l’histoire des cultures provinciales, CERHIO, Université du Maine, 2001. p 19-51. Anne Fillon note une disposition différente de l’application de la règle de succession : les frais d’école pour parvenir à la maîtrise et à la licence sont rapportables à la succession, ce uniquement dans la province du Maine.
FRANÇOIS-YVES BESNARD UN ENFANT DU PAYS
L'enfance privilégiée d'un notable rural
Les « Souvenirs » nous offre le récit d’une enfance heureuse dans cet « Anjou de douceur » célébré par les poètes. Il naît le 10 septembre 1752 au manoir de la Chouanière à Saint-Aubin-des-Alleuds. Le monde rural, son berceau, est marqué par la succession des saisons, les servitudes, les traditions et les coutumes.
La paroisse des Alleuds comme toutes les paroisses de l’Ancien Régime est au cœur d’un jeu complexe d’institutions. Elle dépend du diocèse d’Angers et de la subdivision du doyenné de Saumur. Du point de vue de l’administration civile elle est, comme de nombreuses paroisses angevines, gérée par l’intendant de Tours. Elle se trouve dans la zone du gouvernement de Saumur et fait partie de l’élection d’Angers et du grenier à sel de Brissac. Le village appartient pour une grande part aux moines de l’abbaye de Saint-Aubin ; des seigneurs puissants qui provoquent parfois l’irritation des paroissiens. Le droit de chasse et de pêche, l’impôt sur les lods et ventes et les corvées, font l’objet de procès. Les Besnard, comme fermier du prieuré des Alleuds (fig. 4), concentrent ces récriminations qui se manifestent dans le cahier de doléances en 1789.
Besnard porte un regard de privilégié sur le monde qui l’entoure. Pour lui, il fait bon vivre aux Alleuds. Le prieuré est le plus important des domaines de l’abbaye de Saint-Aubin surnommée « la riche ». Les terres du domaine s’étendent sur 160 hectares. Au moment de la naissance de François-Yves, la famille Besnard (fig.5) gère l’exploitation depuis déjà 22 ans. Son grand père, Pierre Besnard, mari d’Anne Raimond, qui habitait la Sansonnerie à Saint-Georges des Sept-Voies, signe le 13 novembre 1730, le premier bail de fermier général du prieuré de Saint-Aubin-des-Alleuds. Une véritable dynastie s’installe au prieuré pendant trois-quarts de siècle. Les Besnard occupent de manière quasi-héréditaire les plus belles terres ; trois générations vont se suivre jusqu’à la Révolution.
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(fig.5) Généalogie de la famille Besnard
La charge de fermier général est convoitée et la concurrence est vive. Elle offre une certaine notabilité et l’assurance d’affaires prospères. La famille Besnard devient puissante et suscite le respect. Elle loue les terres, fournit du travail, prête de l’argent et représente les seigneurs du lieu; les religieux de Saint-Aubin. Les Besnard, des « coqs de village », se distinguent socialement par leur mode de vie, leur réseau de sociabilité et leur habitat. La maison du prieuré est un signe fort de reconnaissance sociale et apparaît comme une traduction matérialisée de cette condition bourgeoise, un élément distinctif immédiatement repérable dans le paysage villageois. Elle présente des caractères architecturaux remarquables, frappés de verticalité :
« Les bâtiments de ferme du prieuré des Alleuds paraissaient aussi par leur masse et leur étendue, être des plus considérables, non seulement que tous ceux de la paroisse, mais même à l’exception de quelques châteaux, que ceux des paroisses environnantes. L’escalier principal était pratiqué dans une tour carrée, terminée en flèche couronnée de deux girouettes de même que le haut des murs étaient garni de créneaux en signe de seigneurie de paroisse avec haute et moyenne justice… »[4]
Besnard promeut dans les « Souvenirs », cette bourgeoisie rurale, une bourgeoisie à talents éduquée, courageuse, laborieuse et intéressée par le monde de la terre et des affaires.
Une partie de l’enfance de François-Yves Besnard se déroule au prieuré. Ce véritable centre d’exploitation agricole façonne l’enfant. Les battages des grains, les vendanges, l’arrachis et l’érussement des chanvres, l’épluchage des noix sont l’occasion de faire appel à une main d’œuvre d’appoint au voisinage et l’occasion de grands rassemblements, de repas partagés, de réjouissances parfois accompagnées de danses au son du violon.
Les « Souvenirs d’un nonagénaire » sont l’évocation nostalgique d’une enfance heureuse, douce et privilégiée en Anjou.
[4] Martine TARONI, Un prêtre en révolution, François-Yves Besnard, Souvenirs d’un nonagénaire , Article 73, p.63.
Une éducation religieuse
L’école sonne l’heure des premiers exils car la paroisse de Saint- Aubin des Alleuds ne possède pas d’institution. A 6 ans et demi, François-Yves part pour Doué-la-Fontaine suivre l’enseignement de Monsieur Bidon. Comme ses cousins, il prend pension chez son arrière-grand-mère Marie Bisneau, âgée de 95 ans. En même temps que les vertus chrétiennes, il apprend les rudiments scolaires ; la lecture, l’écriture et les quatre règles arithmétiques. Cette étape franchie il peut alors l’année suivante rejoindre le collège de Doué-la-Fontaine dirigé par Julien Liger. C’est François Cholet, prêtre directeur du petit séminaire, qui avait acquis le 7 avril 1723 une maison dans le but d’établir un collège « pour l’instruction de la jeunesse même de la langue latine et mettre en état de parvenir à l’ordre de prêtrise ceux qui en aurait la vocation »[5]. Au collège se retrouvent les enfants des notables de la région ; les Grignon, les Gallais, les Falligan,les Gautherenneau, les Cousineau, les Caffin...
En 1766, lorsqu’il atteint ses quatorze ans, sa mère choisit de placer François-Yves à Angers, au collège d’Anjou (fig. 6) dirigé par le père David-Anselme de la Bardonnanche
(fig. 6) Le collège de l'oratoire d'Angers
Il est présenté par Gontard des Chevalleries, le maire d’Angers, qui possède une maison de campagne, « La Pichonnière » à Charcé Saint-Ellier, près des Alleuds. Besnard y rencontre les enfants issus de l’échevinage angevin ; il se noue d’amitié avec celui qui restera l’ami de toujours, Marie-Joseph Milscent de la Noirais, un voisin des Alleuds, lui aussi. Il accomplit une année seulement au collège tenu par les oratoriens. Le changement est important et Besnard est déconcerté. Les sanctions sont légères, la discipline relâchée et l’organisation souple remplace un emploi du temps rigide. La suppression des études et des récréations en commun le désorientent. Ses repères sont bousculés. Il se sent livré à l’oisiveté et abandonné. Au bout d’un an, Besnard quitte le collège d’Anjou et rejoint le petit séminaire. Ces mauvais résultats scolaires et les divergences doctrinales entre le collège et le séminaire justifient ce changement.
Au séminaire, François-Yves Besnard retrouve une organisation similaire à celle du collège ; un emploi du temps bien rempli, une discipline de travail. Comme tous ceux qui veulent prendre des grades, il fréquente en même temps la faculté de théologie et assiste tous les matins aux leçons que donnent les professeurs dans la grande salle du cloître de la cathédrale Saint-Maurice. La Faculté, une des plus anciennes du royaume, a été créée par Eugène IV et confirmée l’année suivante par des lettres patentes de Charles VII. Elle est agrégée à la Sorbonne en 1695 à la demande de l’évêque Lepelletier car «elle avait toujours été attachée à la sainte doctrine ». Les cours de théologie sont peu stimulants ; les élèves ne sont pas interrogés. Chaque année, seulement 5 a 6 étudiants sont admis à la faculté pour soutenir les trois thèses qui conduisent à la licence. En 1772, il passe la « tentative » une thèse qui porte sur les sept sacrements. En 1773, il soutient la « mineure », la « majeure », puis enfin la « jovine » qui constituent la licence. Il soutient sa thèse de doctorat en juin 1777, lors d’une épreuve appelé « vespéries ».
[5] Jacques MAILLARD, Histoire de l’Anjou n°3, L’Ancien Régime et la Révolution en Anjou, éditions A. et J. Picard, Paris, 2011, p 267.
Fréquentations et nouveaux horizons
Les idées se distillent doucement dans la campagne de Saint-Aubin ; un monde aux frontières étroites où tout le monde connaît tout le monde : « on est tous cousins[6]» écrit Besnard. Les villages ont gardé leur fixité et leur lenteur, même si des bourgeois ruraux, comme les Besnard, par leur activité de marchands, jouent le rôle d’intermédiaires culturels et introduisent les nouveautés. Les comportements sont emprunts du prestige de la terre ; la seule richesse sûre, celle qui marque le groupe social. Au contact de la ville, les rencontres se multiplient, les échanges s’amplifient et l’activité intellectuelle s’intensifie. C’est le lieu où souffle l’esprit. En prenant pension chez le libraire Boutmy, François-Yves goûte pleinement l’air de la ville où sont concentrés les richesses et les talents. A Angers, règne une certaine ardeur intellectuelle. De riches bibliothèques s’offrent au jeune séminariste. Il fréquente la librairie de l’Université fondée vers le XIV° siècle ouverte à tous les étudiants du « lever au coucher du soleil », même le dimanche et les fêtes. Il a accès à toutes les bibliothèques religieuses fermées aux profanes, 9000 ouvrages au séminaire, 2000 volumes à l’abbaye de Saint-Aubin, et autant à celle de Saint-Serge. Des lieux entretiennent l’émulation et vivifient l’activité culturelle et intellectuelle de la ville d’Angers. L’élite angevine se retrouve dans des lieux de rencontres comme les académies, les loges ou encore les sociétés qui allient le plaisir de la conversation, la lecture de journaux et la pratique des jeux. Le théâtre participe aussi de l’évolution intellectuelle de François-Yves Besnard et du public en général. En dépit des anathèmes lancés par l’église, Besnard fréquente en cachette avec son ami Milscent de la Noirais, le théâtre d’Angers et il connaît ses premières émotions théâtrales au goût d’interdit.
« Je me proposais de prendre et pris en effet l’année suivante une inscription en droit. Elle me coûtait alors que 6 fr. J’aimais passionnément le spectacle où ma place avait été toujours jusqu’alors au parterre, je ne pus donc que m’applaudir de m’être fait étudiant en droit puisque pour mes 6 fr et mon exactitude à ne pas manquer un appel je fus donc dans le cas d’avoir la faculté de prendre 25 fois place non aux premières loges où j’aurai été trop en vue mais à l’orchestre. »[7]
Le théâtre d’Angers est aménagé en 1763 ; les troupes de comédiens viennent jouer tous les grands succès du temps, jusqu’en 1789[8]. De 1763 à 1789, la direction de la salle est confiée le plus souvent à la célèbre demoiselle de Montansier. Le répertoire composé en grande partie de divertissements et d’opéras comiques fait une place marquée aux comédies de l’époque. Les œuvres jouées appartiennent au répertoire habituel du XVIII° siècle. Les tragédies de Voltaire « Alzire » et « Mahomet », « Tancrède » avec la célèbre mademoiselle Jodin en 1774, « Sémiramis » en 1777, le drame bourgeois avec « Le père de famille » de Denis Diderot, « Eugénie » et le « Barbier de Séville » de Pierre de Beaumarchais, une comédie de mœurs «Le retour imprévu » de Jean-François Regnard en 1775. Les faveurs du public se portent également sur « le bon angevin ou l’hommage du cœur »[9] en 1775 et « Le seigneur d’Anjou ou le vrai généreux, » dues à Collot d’Herbois, le futur conventionnel.
6] Martine TARONI, «Un prêtre en révolution, … » op. cit. article 24, p. 38.
7] Martine TARONI, «Un prêtre en révolution, … » op. cit. article 165, p122-123.
[8] La salle de spectacle bâtie par les sieurs Jean Thoribet et Roche Charner dans le jeu de Paume du bas des Halles est inaugurée le 1° juin 1763 par la troupe du comédien Baron (BM Angers, mns 8779 p. 448.)
[9] « Le bon angevin » est une comédie en un acte mêlée de chants et de vaudevilles et suivi d’un divertissement dans le goût du jour, avait été composé en l’honneur de Monsieur frère du roi et duc d’Anjou à l’occasion de l’inauguration de son portrait à l’hôtel de ville.
La pension Boutmy qui accueille Besnard pendant les années du séminaire constitue, par la réunion des différents pensionnaires, un véritable creuset d’idées, de réflexions, d’échanges et d’expériences. Dans cette maison située chaussée Saint-Pierre, les jeunes gens expérimentent un sentiment de liberté, pratiquent le dessin, le violon, apprennent le grec et fréquentent le théâtre. Le jeu occupe une large place (les cartes, la mouche, le whist et le brelan de laquais). Besnard qualifie cette petite société de « joyeuse, voir équivoque ». Il y introduit l’usage de la consommation du café, pratique à la mode, qu’il tient de sa mère, Marie Vaslin.
On cultive essentiellement l’art de la conversation. Dans cet espace affranchi de toute autorité les jeunes gens s’adonnent au débat. Besnard côtoie l’abbé Maupassant « grand flandrin naturellement gai, mais d’une niaiserie peu commune »[10]. Il est avant Besnard, vicaire à la cure Saint-Pierre d’Angers auprès du curé Robin. Il y a aussi Joseph-François-Alexandre Tessié du Closeau passionné de chimie, futur médecin et acteur de la Révolution. C’est un proche de Louis-Marie La Réveillère-Lépeaux (fig. 7). Parmi les pensionnaires se trouve également Joseph-Louis Proust bientôt pharmacien à Paris où il rencontre Lavoisier. Il y a Urbain-René Pilastre de la Brardière, maire d’Angers en 1791 et destiné à une longue carrière politique. Dans ce petit groupe, il retrouve l’ami d’enfance Marie-Joseph Milscent de la Noirais, avocat au Présidial, puis lieutenant général et à ce titre futur président de l’Assemblée électorale du Tiers à Angers, le 18 mars 1789. Il fréquente également Louis Desmazières, bientôt reçu docteur en médecine de l’université d’Angers le 14 mars 1777 et Jean–Baptiste Leclerc licencié en droit.
[10] Martine TARONI, «Un prêtre en révolution, … » op. cit. article 160, p.120.
Le pensionnaire le plus marquant et le plus influent est Constantin-François Chasseboeuf de Boisgirais appelé plus tard Volney (fig. 8). Avec lui, tout devient sujet de remises en cause. Il conçoit des doutes sur les faits historiques, veut revoir la traduction de la Bible qui lui paraît infidèle et pleine d’erreurs de transposition. Il conteste les vérités héritées de l’ordre ancien. Insensiblement se développe chez Besnard et ses amis, une culture de la contestation des institutions en place et de l’autorité. La lecture des livres philosophiques d’Helvétius, d’Holbach, de Rousseau et celle de l’Encyclopédie de Diderot fortifient cette nouvelle disposition.
En petits comités, on parle de gouvernement et de politique. On projette la vision d’une nouvelle société. Les débats portent sur les problèmes du moment, la composition des états provinciaux, les modalités de vote aux prochains Etats Généraux. On évoque l’affrontement de Volney avec le comte Walsh de Serrant. Tous ces jeunes gens, habitués à ferrailler sont disposés à prendre une part active dans les événements à venir ou joueront un rôle important voir décisif pendant toute la décennie révolutionnaire en s’engageant dans des fonctions publiques ou dans des carrières scientifiques.
Besnard élargit son champ d’investigations. Il franchit les portes de lieux d’exception comme l’abbaye de Fontevraud. Son parent, Monsieur Boullet, intendant de l’abbaye, secrétaire ordinaire de l’abbesse, qui avait épousé sa cousine, lui permet de fréquenter le lieu. Il découvre les fastes des fêtes mondaines comme celles organisées à la Saint-Gilles, en septembre à l’occasion de l’anniversaire de l’abbesse Julie-Sophie-Gillette de Pardaillan d’Antin. Il évoque une grande chasse au cerf en 1778. :
« Plusieurs officiers de carabiniers en garnison à Saumur nobles et chasseurs du voisinage se sont réunis pour l’exécuter. Madame la duchesse de Civrac, nièce de Madame d’Antin, Madame de N…en habit d’hommes s’y faisaient remarquer par leurs galopades, la vivacité de leurs gesticulations et leur air de gaité »[11].
Lors de ses séjours à l’abbaye, Besnard est admis plusieurs fois au parloir de l’abbesse et deux fois à table. Il est désigné pour assister à la soutenance de thèse de deux religieux de l’ordre. L’exercice s’y disputait en latin. L’abbesse renouait ainsi avec la tradition ancienne des abbayes comme centre spirituel et intellectuel. Besnard est séduit par l’atmosphère qui règne à Fontevraud. Il y découvre un mode de vie loin de la rigueur monacale. Il aime la gaité de l’endroit, les déjeuners plantureux, les éclats de rire immodérés, les chansons qui font frémir quelques pointilleux de la régularité.
Besnard fréquente de 1775 à 1789, un autre lieu d’exception; le château de La Lorie ; le rendez-vous favori de la noblesse angevine. Là, se retrouvent les grandes familles voisines du château ; les d’Andigné de Sainte-Gemmes du manoir de la Blancheraie, les Dieuzie, les comtes de Damas, Boson, Surgères, Marmier et aussi les nobles anglais, habitués de l’Académie d’équitation. Le château est meublé avec luxe et raffinement. Des terrasses, des parterres, des escaliers décorés de statues ornent le parc planté de chênes séculaires, des serres chaudes abritent des plantations exotiques et précieuses comme les pommes de terre que Besnard implantera avec succès à Nouans. Ici comme ailleurs la contagion de l’esprit nouveau se répand. La philosophie devient le signe de la distinction de l’esprit. « Monsieur faisait hautement profession de la philosophie du XVIII° siècle »[12]. On croit élégant de se moquer des privilèges dont on tire profit et on se moque de la cour. Monsieur Damas, un des invités du château prétendait : « excepté les pièces où se tenait la famille royale, toutes les autres n’étaient éclairées qu’avec des chandelles et quelquefois réduites au nombre de deux [13]». On y lit la Gazette, le Mercure de France, le Guardian, le Spectator et l’Encyclopédie. On brode dans les salons, on compose des charades et des jeux d’esprit, on fait de la musique. :
[11] Martine TARONI, «Un prêtre en révolution, … » op. cit.. article 197, p 152.
[12] Martine TARONI, «Un prêtre en révolution, … » op. cit. article 193, p.150.
[13] Martine TARONI, «Un prêtre en révolution, … » op. cit. article 196, p.150.
C’était pendant la foire du Sacre, à l’issue d’un grand diner qu’il avait donné à Angers, entre autres à MM de la Feronnais, d’Andigné de Contades etc… ; on était allé se promener au Mail. Au moment où la conversation paraissait la plus animée, il vint me frapper sur l’épaule et me tirant par le bras à l’écart, il me dit : l’abbé sauvez-moi de ces bêtes-là.»[14]
Les élites se sont détournées de la société qui était la leur, pour se mouvoir dans le monde rêvé, construit par les hommes de Lettres. Besnard adhère complètement à cette société idéale : une cité où les hommes sont devenus semblables même si leurs droits sont différents.
Les débuts du Sacerdoce à la cure de l'église Saint Pierre
Pour ses premiers pas dans l’exercice du sacerdoce, Besnard choisit d’être vicaire du plus discutable des abbés ; le curé Robin. Il est celui qui défraie la chronique. Besnard connait sa réputation pour le moins sulfureuse et sujette à scandales par son ami de la pension Boutmy, l’abbé François-Gaspard Maupassant, déjà vicaire à l’église Saint-Pierre. Lorsqu’il entre en fonction, Besnard n’est pas découragé par les murmures et les mises en garde prononcées par l’abbé Emery le directeur du séminaire. Deux autres vicaires affrontent l’opinion avec Besnard ; Pierre Henri Marchand et Petit de la Pichonnière.
Claude Robin (Fig. 9) est à la cure de l’église Saint-Pierre d’Angers depuis janvier 1752 et quand François-Yves Besnard le rejoint en 1777, c’est déjà un vieil homme. Docteur en théologie depuis 1739, il avait exercé quelques fonctions à la faculté de théologie mais ses propos vifs l’avaient banni du lieu. Son voyage à Rome en 1751 avait soulevé quelques interrogations et alimenté les bavardages et les rumeurs. En effet, à son retour, l’ami qui l’accompagnait a disparu. Claude Robin se trouve pourvu du bénéfice simple dont son ami était titulaire et refuse de donner la moindre explication sur sa disparition. En outre, il se montre peu respectueux du prône de la messe paroissiale et n’hésite pas à interpeller sa domestique, pendant l’office, pour régler quelque problème d’intendance. Il fait scandale avec l’histoire de la jeune demoiselle Manon de Lestoile, d’une beauté remarquable, qu’il accueille sous son toit. Mais ce qui intéresse Besnard chez Robin, ce n’est pas le scandale, c’est plutôt l’homme lettré, qui écrit « Le Mont Glonne[16] », une histoire de Saint-Florent. Les deux hommes cultivent une certaine communion d’esprit jusqu’à la Révolution. Le curé Robin est présent lors de l’ordination de Besnard, il assiste à sa première messe célébrée aux Alleuds et à la Chapelle-sous-Doué. Besnard apparait dans sa charge de vicaire conforme à l’esprit tridentin. Il œuvre à soulager les misères populaires et distribue des secours. Il exécute cette mission en cachette car elle est normalement dévolue au curé en titre. Il collecte les dons avec mademoiselle Claveau et organise avec elle, des distributions de pain, d’argent et de bois, il paie des mois de nourrice pour les enfants pauvres, il finance des apprentissages et assure la dot de la fille de Monsieur Fétu qui voulait être religieuse à l’hôpital de la Flèche.
[16]Claude ROBIN, Le Mont-Glonne ou recherches historiques sur l’origine des Celte, Angevins, Aquitains, Armoriques et sur la retraite du premier solitaire des Gaules au Mont-Glonne de nul diocèse sur les confins de l’Anjou, l’Aquitaine et la Bretagne. 1774.
L'INTRUSION D'UN ANGEVIN DANS LE MAINE
Besnard choisit de quitter l’Anjou pour s’installer à Nouans, petite paroisse du Maine située au Nord du pays manceau. (fig. 10)
« Je trouvais en effet, tous les avantages que j’avais pu désirer. Revenu plus que suffisant, liberté et indépendance, presbytère vaste, grand et bon jardin, a moitié entouré de pièces d’eau empoissonnées, une exploitation agricole toute montée, une population peu nombreuse, dont tout l’extérieur annonçait l’aisance et des moeurs douces, une contrée fertile et plantée comme un jardin, tout concourait à satisfaire mes goûts et mes besoins. »[17]
Il note tout de suite, des différences régionales. Aux yeux de Besnard, Les progrès agricoles sont plus en avance dans le Maine. Il décrit la paroisse comme un pays paradis. Il est impressionné par la culture du trèfle que l’on ne pratique pas en Anjou et qui remplace partiellement dans le Maine, la jachère, sur les terres les plus riches.
« Je n’avais alors aucune connaissance de celle du trèfle, qui a elle seule, occupait presqu’autant de terrain que le blé et dans lequel bœufs, vaches et chevaux pâturaient ayant de l’herbe jusqu’au ventre ou bien que les faucheurs coupaient pour le convertir en foin […] Je fus émerveillé, en voyant qu’il ne restait aucune parcelle de terrain nue. »[18]
Mais son intégration ne se fait pas immédiatement. Entre les paroissiens de Nouans (Fig. 11) et François-Yves Besnard, c’est un choc culturel réciproque. Ses manières en font un étranger. Il apporte les innovations telle que la mode du café et initie ses confrères à cette pratique de consommation peu répandue dans cette région du Maine. Son costume, l’utilisation d’un cabriolet pour se déplacer heurtent les habitants qui le voient comme une sorte d’abbé de cour.
Un souffle angevin
Le curé de Nouans, au moment de la rédaction du cahier de doléances en mars 1789, est un homme ouvert aux idées nouvelles, mais peu impliqué dans les premiers événements. Il prête sa plume pour la rédaction du cahier, mais il se cantonne prudemment au rôle de porte-parole confié par les paroissiens. Sa visite à Versailles bouleverse le cours de son existence. Il arrive le 10 juillet 1789 accompagné de son parent et ami Vallée-Lalande, moine de l’abbaye de Saint-Georges sur Loire. Depuis le 7 juillet, Louis-Marie La Réveillère-Lépeaux est nommé membre du comité d’ordre des travaux de l’assemblée. Des pas décisifs ont été franchis depuis la cérémonie d’ouverture du 5 mai. Les députés du Tiers, à l’initiative de Sieyès, ont rejoints les députés des deux premiers ordres. L’assemblée se déclare nationale et le 20 juin, les députés des trois ordres prononcent le serment du jeu de paume et promettent de faire la constitution. Besnard vit un moment unique. Il est au cœur de l’histoire en marche. Il partage avec ses amis angevins Milscent de la Noirais, La Réveillère- Lépeaux, Pilastre et Volney, une période intense de fraternité et d’amitié. Il est enthousiasmé par les discussions, par les débats sur les grandes questions du moment. Il intervient donne son point de vue et participe aux réunions de travail. Besnard vit les rebondissements, les coups de théâtre. Il partage la fièvre des députés contraints d’improviser des réponses à toutes sortes de questions. Il est, lui aussi, amené à débattre des sujets les plus divers. Il est gagné à la cause de cette assemblée d’hommes désintéressés qui décident du bien du pays en hommes libres. La Réveillère évoque sa position de député :
« Je me liai avec aucun chef d’opinion. Je gardais la plus grande indépendance dans les miennes et pour qu’il en fût toujours ainsi, je ne consentis jamais à dîner chez personne autre que mes amis intimes -pas même chez les ducs de la Rochefoucauld et de Liancourt, malgré leurs pressantes invitations et la profonde vénération que j’avais pour eux. »[19]
Le séjour à Versailles transforme Besnard qui adopte dès ce moment, le principe d’une société complètement transformée. Il sait maintenant que les cadres de la société vont être bouleversés et que l’église, son fondement principal, va être remaniée de fond en comble. Besnard adhère complètement à cette révolution juridique. C’est Volney, son ami député de l’Anjou, passé à la députation de la Mayenne, qui engage la discussion sur la vente des biens du Clergé le 2 novembre 1789. Besnard convaincu du sens patriotique de cette mesure acquiert des biens ; une première fois, le 14 mars 1791, pour le temporel de la cure de Nouans, une seconde fois, en l’an IV, pour l’enclos de la Visitation au Mans, (Il y installe les métiers à tisser de sa manufacture de toiles à pavillon).
Grâce à Volney, Besnard fait partie des initiés préparés à la suite des événements. Il pressent que des divergences d’opinion concernant les lois religieuses, vont surgir et il préfère s’isoler et prendre ses décisions en toute indépendance. Il a l’avantage de celui qui sait, mais il ne souhaite pas débattre de l’opportunité des réformes, ni convaincre son entourage. Il est séduit par le plan de régénération de l’église. François-Yves Besnard, adepte de Rousseau, est en harmonie avec ses aspirations, car cette réforme promet une église rationnelle dans son organisation et dans son esprit, débarrassée de toutes superstitions. Le texte de la Constitution du Clergé composé de 89 articles est voté le 12 juillet 1790 et devient loi d’Etat, le 24 août. Il porte la marque de ses amis angevins Volney, la Réveillère et Pilastre, tous des anticléricaux. La Réveillère écrit : « Je veux qu’il n’y ait point de prêtre(…) ou du moins qu’ils ne fassent point corps de sacerdoce ».[20]
Besnard ne se fait-il pas abuser ? Ses amis sont-ils animés des mêmes intentions que lui ? Ne cachent-ils pas sous le déguisement menteur des mesures de réforme, le projet de supprimer la Religion ? Le 16 janvier 1791, Besnard adhère à la Constitution Civile ; une démarche assurée et murie. Il appartient à une petite majorité ; en Sarthe, 51% des curés en poste dans leur cure en 1790, deviennent des curés constitutionnels. Besnard entame avec le serment un itinéraire qui le conduit de la Constitution Civile du Clergé à l’abdication de son sacerdoce.
[19] Louis-Marie La REVEILLERE-LEPEAUX, Mémoires, Paris, 1895, p.87.
[20] Louis-Marie La REVEILLERE-LEPEAUX, « Réflexion sur le culte, sur les cérémonies civiles et sur les fêtes nationales » Paris», 22 prairial an V.
Retour triomphal à Angers et déceptions
Un événement marque la proximité toujours effective de François-Yves Besnard avec l’Anjou. L’église doit s’organiser. Immédiatement, on propose à Besnard la charge de vicaire épiscopal ; ce qui flatte les ambitions du curé de Nouans. Il a gardé des liens avec l’Anjou bien qu’il ait quitté la région depuis onze ans. Tous ses amis proches sont aux commandes des postes les plus importants ; Pilastre, Desmazières, Leclerc, La Réveillère-Lépeaux et Julien- Pierre Boullet qui accède aux fonctions de Procureur général syndic. En quelques jours, sans regrets, Besnard est prêt à abandonner ses chers paroissiens et à quitter sa campagne de Nouans.
Le voyage qu’il fait à Angers ne lui offre que de mauvaises surprises. La première déception vient du fait que la place de vicaire épiscopal qu’on lui avait offert dans la nouvelle organisation de l’église angevine est attribuée à un autre. Le nouvel évêque du Maine et Loire, Hugues Pelletier, l’ancien curé de Beaufort est élu le 13 février 1793. Pour affronter sa « rude besogne au milieu de difficultés » selon les termes de sa première lettre pastorale, il se choisit 16 vicaires épiscopaux. Mais Besnard est appelé à d’autres fonctions. Les curés réfractaires ayant désertés leur paroisse, l’église constitutionnelle doit pourvoir au remplacement des charges rendues vacantes. Le serment exigé par la Constitution Civile du Clergé est refusé en Anjou par les trois-quarts des membres du clergé. L’assemblée des électeurs qui vient de désigner le nouvel évêque, se réunit le 12 mars pour procéder à l’élection des curés destinés à remplacer les fonctionnaires publics réfractaires. Ses qualités réputées de négociateur, le conduisent à la cure de Saint-Laud. L’abbé Bordant récemment nommé dans cette paroisse avait donné sa démission au bout de 15 jours. Le curé en titre de la paroisse n’est autre que le célèbre curé Bernier, une forte personnalité. Après avoir refusé de signer la Constitution Civile du Clergé, Besnier, un curé charismatique, se lance dans les guerres de Vendée et devient bientôt le chef dans l’armée d’Anjou. Il est désigné pour être un des plénipotentiaires chargés de traiter du Concordat.
L’intrusion des curés constitutionnels est ressentie comme une salissure. Besnard essaie habilement d’user de diplomatie. Il consulte l’abbé Bernier et aussi son ami, le curé Robin. Mais cette démarche n‘a pas les effets escomptés, c’est une nouvelle déception. Les « intrus » sont malmenés. Les incidents se multiplient. Les manifestations sont violentes. L’installation de François-Yves Besnard n’échappe pas à cette agitation. Des surprises l’attendent : les cordes des cloches sont relevées dans le clocher fermé à clef, les cierges sont mouillés, les vases enlevés et les ornements sacerdotaux cousus. La mésaventure a fortement ébranlé Besnard qui réalise combien la situation est dangereuse et combien le climat est passionnel. Rongé par la peur et honteux, il rentre à Nouans et se terre au presbytère. Il adopte un autre mode de vie tout en discrétion.
« Je continuais de jouir dans ce complet isolement des avantages inappréciables de la plus profonde tranquillité au milieu de circonstances aussi alarmantes… ».[21]
La campagne de déchristianisation se poursuit et conduit Besnard à abdiquer. Il renonce à ses fonctions et c’est à Angers qu’il vient exécuter cette démarche le 28 brumaire an II (18 novembre 1793). Il est le premier sur le registre avec son cousin Antoine Vallée et c’est Francastel qui enregistre la déclaration. Besnard renonce à exercer ses fonctions de prêtre et déclare s’unir selon la formule préconisée à une citoyenne. Il ne renonce pas au dogme mais à la fonction. Il vivote de l’allocation payée par le gouvernement.
Les dernières cartes de Besnard en Anjou
Besnard est un homme compromis et la Constitution Civile du Clergé en a fait un proscrit en danger et sans ressources. Il est à la recherche d’une conversion rédemptrice. « Je ne savais quel parti prendre »[22]. Dès 1791, il avait cherché une porte de sortie. C’est Volney qui lui offre une première opportunité ; celle de l’exploitation agricole d’un grand domaine en Corse « La Confina ». Besnard rêve d’exotisme. Volney s’installe en éclaireur à partir de décembre 1791 pendant que Besnard resté en France tente de réunir son capital. L’affaire tourne court car Volney gêne les projets politiques de Paoli. Il se voit contraint de rebrousser chemin. Besnard n’a pas eu le temps de toucher le sol corse. Il tente alors d’établir à Saint-Aubin des Alleuds, une manufacture textile. Le 22 novembre 1793 (2 frimaire an II), la séance du Directoire enregistre une pétition. Mais Besnard ne donne pas suite.
[22] Martine TARONI, «Un prêtre en révolution, … » op. cit. article 275, p.219.
La veuve[23] de son frère ne voit pas d’un bon œil son installation aux Alleuds. Il n’insiste pas et cherche d’autres opportunités : « Je me creusais en vain l’imagination »[24]. Son ami Gervais Chevallier, l’ancien vicaire de Congé sur Orne devenu vicaire épiscopal puis abdicataire, le tire de l’embarras et lui propose d’établir sa manufacture au Mans. C’est une réelle opportunité. La manufacture de toiles à pavillon permet de donner du travail aux vendéens, abandonnés sur place après la bataille du Mans de décembre 1793. L’arrêté de Garnier de Saintes du 23 avril 1794 (4 floréal an II) oblige les réfugiés à déclarer leur état et à se tenir prêt à toutes réquisitions. Ils ne peuvent refuser d’aller travailler à la manufacture. Son action « philanthropique » a pour but de faire oublier sa condition d’ancien prêtre. La subvention de 30 sols par jour versée par la municipalité lui permet d’utiliser une main d’œuvre bon marché. La toile à pavillon tricolore, destinée à équiper les bateaux, assure une partie des débouchés. L’autre partie de la manufacture est consacrée d’une part aux mouchoirs de Cholet, une technique que les vendéens maitrisent bien et d’autre part, aux toiles peintes. La fabrique est équipée de machines modernes. Elle aurait accueilli 1500 personnes ; le chiffre semble exagéré. Le climat économique et financier du Directoire entraine des difficultés ; le marché d’Etat des toiles à pavillon est interrompu et la manufacture est déclarée en faillite en 1798.
François-Yves Besnard, agent-double ?
Opportunément en même temps que ses activités de négociant, Besnard s’engage dans des mandats publics. Il effectue tout d’abord des missions auprès de la députation. Ses talents de négociateur confirmés et reconnus font de Besnard un personnage recherché. Son réseau extrêmement développé et ses qualités relationnelles sont un atout. Il est introduit dans les cercles parisiens du pouvoir. Ses amitiés angevines lui ouvrent de nombreuses portes, en particulier celle du Directeur Louis- Marie de La Réveillère- Lépeaux, qui est chargé des nominations dans l’Ouest. Il doit négocier en pluviôse an IV[25] une augmentation des effectifs militaires pour lutter plus activement contre les chouans qui paralysent l’activité économique de la région. Il doit aussi obtenir que les réquisitionnaires restent cantonnés sur place et non pas envoyés sur le front, et que les paysans soient épargnés du service de guerre. Besnard développe une activité intense et arpente les ministères. Son action dépasse la transmission factuelle d’informations ; il fait activer les prises de décisions et exprime des jugements sur les dossiers en cours « le ministre de la guerre en veut aux chouans, il leur voue une haine personnelle »[26]. Sa mission comporte un autre volet moins officiel. Il est l’œil du Directeur La Réveillère-Lépeaux. Il est un témoin et rend compte de la situation politique dans le département et de l’efficacité des députés. Le parcours commun des deux hommes, les rêves de jeunesse partagés d’une société transformée, sont un gage de communion de vue et les relations d’amitié qu’ils entretiennent l’un l’autre, les préservent de toute trahison.
Petit à petit Besnard s’impose comme un personnage incontournable. Il est placé au cœur des luttes d’influence, des rivalités et des pressions. Lorsque vient l’heure des nominations à des responsabilités locales importantes, son nom est avancé immédiatement. Le 25 Février 1796 (6 ventôse an IV) il est appelé en remplacement de Ménard Mouchetière, comme officier municipal.
Puis il est appelé, par deux fois, après des vagues de destitutions pour remplacer le personnel administratif destitué par le pouvoir Exécutif. Il nous plonge dans les pratiques électorales du Directoire. Après les élections de fructidor qui se déroulent du 21 mars 1797 au 14 avril 1797, les républicains modérés sont écrasés. Les royalistes sont majoritaires dans les conseils. Pour sauver le régime, les Directeurs tentent le coup de force. La Sarthe est visée par l’épuration. L’administration est destituée et remplacée par des patriotes « purs et éclairés » en septembre 1797. Le commissaire central du département, Maguin, déclare « il faut que par un moyen ou par un autre on compose les administrations de patriotes purs et éclairés »[27]. Besnard est nommé à la fonction de Président de l’administration municipale. Mais après les attaques des contre-révolutionnaires repoussés en fructidor, le Directoire est bientôt attaqué par les néo-jacobins, des « enragés ». Ils militent pour des mesures politiques plus radicales, un système basé sur l’égalitarisme que distille la pensée de Babeuf. Les élections de l’An VI sont un nouveau terrain d’affrontements. L’avance jacobine est significative. Pour faire cesser toute propagande jacobine, François de Neufchâteau, Merlin de Douai et La Réveillère- Lépeaux signent un arrêté fermant les cercles constitutionnel. Besnard donne de l’éclat à la fermeture du cercle qu’anime Jacques-Rigomer Bazin. Le climat s’envenime. La sanction du vote écarte Besnard des fonctions administratives. A sa place, les exclusifs les plus en vue sont élus. Baudet-Dubourg, l’ancien bénédictin, demande tout de suite la destitution des administrations et le coup d’état de floréal an VI (avril 1798) propulse Besnard, Président de l’administration du département. C’est un homme imposé par Paris. Il apparait comme une figure de républicain du centre dans un régime compromis. Il reste quelques mois à la tête du département de la Sarthe. Dans ses « Souvenirs », Besnard aborde les grands chantiers qu’il a menés ; il évoque la mise en place de la réforme de l’administration et son rôle dans l’administration fiscale qui consiste à organiser rationnellement les levées d’impôts et faire rentrer l’argent. Il évoque aussi son rôle dans la création de l’Ecole Centrale et ses conceptions ambitieuses en matière éducative. Enfin en ce qui concerne la politique religieuse Besnard nous fait part de ces crises de conscience et de ses doutes. Besnard aborde peu le rôle de la théophilantropie cher à la Réveillère. Il participe activement à l’installation d’un temple décadaire destiné à accueillir les citoyens. Pour cela Besnard prend avis auprès des angevins. Il travaille à l’aménagement de l’église de la Couture en temple décadaire, un projet qui restera dans les cartons. Par amitié pour La Réveillère, par goût du pouvoir aussi sans doute, Besnard s’est engagé activement dans l’action politique. Lorsqu’il s’est agi de politique religieuse, il a fait preuve de prudence et de tolérance. Mais il n’a pas sacrifié ses conceptions religieuses. La fin de son mandat est agitée. Les campagnes de presse lui font une mauvaise réputation. Le pamphlet diffusé le 1° ventôse an VII et qui inonde la place du Mans, étonne Besnard. C’est sa connivence avec l’Anjou qui vient en tête des reproches qui lui sont faits. Il n’est pas natif du Maine et cela le rend suspect. On dénonce ses déplacements en Anjou alors que le département est troublé par les brigandages. Mortier-Duparc soutient que Besnard a travaillé à la perte du département de la Sarthe, en ne donnant pas les calculs de dégrèvement de la contribution foncière.
« Il y a dans ce travail sur le dégrèvement un calcul qui peut-être aura déplu au citoyen Besnard. On y a démontré que son département natal et chéri, celui où il a son patrimoine, sa famille ses amis est beaucoup moins grevé que le notre. Le citoyen Besnard ne cache pas depuis longtemps qu’il n’a nulle
[27] AD 72 L 215 (1° vendémiaire an V).
attache pour notre département qu’il l’aurait déjà quitté si plusieurs projets ne le retenaient encore. Je laisse à tirer les conséquences. »[28]
François-Yves Besnard, installé dans le Maine depuis 19 années, reste aux yeux des manceaux, « l’angevin ». Vilipendé par la presse, isolé politiquement, Besnard choisit de fuir le Maine. Ce n’est pas un bilan sur sa compétence qui lui est opposé, il s’est montré plutôt un bon serviteur. La campagne de presse est l’illustration de la fabrication de l’ennemi politique à partir de son identité géographique, il représente le parti de l’étranger. Compte tenu de cette prise de position, faut-il réhabiliter Besnard ?
[28] MORTIER-DUPARC, Sur l’une des calamités qui affligent le département de la Sarthe et sur le désir d’y porter remède, in 8°, Paris, an VIII.,
CONCLUSION
Dans un premier temps, il s’installe à Paris et travaille au ministère de la justice sous le ministère Abrial à la commission de radiation des émigrés. Trois ans plus tard, âgé de plus de cinquante ans, il quitte Paris. Il retrouve l’Anjou en 1803. Il acquiert deux propriétés, l’une à Fontevrault et l’autre au Raslay, hameau situé à 4 kilomètres. Ses parents et amis sont là pour lui réserver le meilleur accueil comme mesdames Boullet, sœurs du juge à la cour royale d’Angers.
« Enfin, j’attachais un grand prix à l’avantage d’une position qui ne laissait plus entre ma famille et mes amis d’Angers qu’une faible distance à parcourir. »[29]
Son but est de mettre à profit les cours de Monsieur Thouin, les lectures de l’abbé Rozier et son expérience acquise dans le Maine. Il accepte, en même temps, la place de directeur de la maison centrale de détention de Fontevraud, qu’il délaisse très vite pour celle de percepteur. Cette activité se transforme vite en une entreprise. Il met en place une des premières pépinières de France. Il fait des semis d’arbres, soit fruitiers, soit champêtres ou encore d’agréments. Il fait pousser des sycomores, des cyprès, des ormeaux, des châtaigniers, des platanes, des cèdres et des muriers. Quelques années plus tard, son domaine abrite entre 4000 et 6000 arbres. Ses pépinières sont réputées dans tout l’Anjou. Après son histoire de l’agriculture « Xénophon à Scillonte»[30], il contribue à écrire une autre page de l’histoire botanique de l’Anjou.
[29] Martine TARONI, «Un prêtre en révolution, … » op. cit. article 348, p.294.
[30] Xénophon à Scillonte, Exposé des méthodes de culture pratiquées dans toute les régions civilisées du globe depuis les temps les plus anciens jusqu’à nos joursm tableau de l’agriculture ancienne et moderne. (700 pages). Ce manuscrit a été légué à la Société Industrielle d’Angers, mais leurs archives ont brûlé lors d’un incendie en 1943.
« Dès l’hiver qui suivit mon acquisition, j’y avais planté quelques arbres d’achat alors très chers et j’avais établi en pépinières un millier de plants de diverses espèces, surtout en arbres fruitiers, et quoique les ouvriers eussent cru en les mettant en terre, pouvoir leur souhaiter le Requiescat in pace, ils présentèrent un beau développement dans le cors de l’année, ce qui m’encouragea à doubler ce nombre dès la suivante ; je ne tardais pas même , en augmentant progressivement à le porter à 4000 et même en 1812, à 5 et 6000 pieds, et c’est à cette entreprise d’horticulture que je dus l’avantage d’avoir enrichi mon petit domaine… »[31]
Cette activité n’implique pas le repli sur soi et Besnard reforme autour de lui une microsociété ; avec entre autres Monsieur Coutelle, un ami du Mans (maire de Fontevrault de décembre 1805 à janvier 1808), les familles Cailleau de Candes et Reignier de Turquant, monsieur Guillemard ancien receveur des douanes, monsieur Bodin, mesdames de Saint-Sauveur, la famille Gaulay, monsieur Delabarbe sous préfet et de monsieur Peron.
La fatigue due à son âge avancé, les problèmes de santé lui intiment un retour en ville pour être à proximité des secours. Au printemps 1822, il vend sa propriété du Raslay et s’installe à Paris pour y finir ses jours.
« Si les bornes que je me suis imposées en formant dans un âge aussi avancé l’entreprise de retracer mes souvenirs, le permettaient, avec quel empressement ne peindrais-je pas mes regrets en quittant une contrée où j’ai passé les dix-neuf plus paisibles années de ma vie.. ; »[32]
Pendant 20 ans ; il suit des cours publics à la Sorbonne, au Collège de France ou encore au Jardin des Plantes, il consulte les bibliothèques et fréquente les maisons Thouin et La Réveillère. À partir de 1840, il se consacre à la rédaction des « Souvenirs d’un nonagénaire » qui le replonge une dernière fois, dans son univers angevin. Il meurt deux ans plus tard. (fig. 13)
Besnard est resté viscéralement attaché à son Anjou. Il en prend conscience quand il s’installe dans le Maine. Il est porteur des valeurs de l’Anjou et se colore de cette passion purement angevine, le végétal. Son action s’inscrit dans une période d’expérimentation politique. Besnard est un intrus dans le Maine. Il n’est pas à sa place. Il incarne le triomphe du système jacobin. Besnard est à la charnière d’une époque ; celle des administrateurs qui bientôt laissent leurs place aux élus locaux. Il est « parachuté » par l’exécutif, en partie aux mains de ses amis angevins (La Réveillère –Lépeaux) aux postes clefs du département de la Sarthe. La confiance dans les élus s’inscrit dans leur appartenance à la terre. A partir du Directoire, les notables locaux, des propriétaires fonciers prennent en main la direction des affaires locales. Leur implantation locale garantit leur responsabilité, leur intérêt, leur implication dans la gestion du département. C’est le triomphe de l’école physiocratique qui annonce les règles électorales fondées sur la propriété, bases élitaires du régime. La réaction anti-Besnard, une réaction contre l’étranger, annonce la gestion des départements essentiellement confiés à des notables enracinés dans le terroir.
[31] Martine TARONI, «Un prêtre en révolution, … » op. cit. article 388, p.336.
[32] Martine TARONI, «Un prêtre en révolution, … » op. cit. article 362, p.305.
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