Barbe Bleue serait-il Breton ?
Le destin matrimonial exceptionnel de François Le Ral
(v. 1671-1754)
David Audibert
docteur en histoire moderne de l’Université du Mans
chercheur associé au Laboratoire TEMOS (TEmps, MOnde, Sociétés), UMR 9016 CNRS
Traitant de la question des remariages, Guy Cabourdin souligne, dès 1978, combien « le phénomène du remariage constitue sans aucun doute un facteur essentiel des structures démographiques aussi bien anciennes que contemporaines »1
Menée à partir d'enquêtes réalisées grâce aux registres paroissiaux de l'Europe de l'Ouest, et principalement de France, à l'époque moderne, son étude met en évidence une proportion importante de remariage dans la société d’Ancien Régime, dont « le taux [reste] élevé jusqu’au milieu du XVIIIe siècle »2
Bien que demeurant très exceptionnel par le nombre successif d’unions, le cas de François Le Ral, modeste paysan breton de la première moitié du XVIIIe siècle, est assez révélateur des habitudes matrimoniales de l’époque.
Le 13 février 1749, le curé d’Inguiniel (Morbihan actuel) célèbre, en effet, un mariage bien original : François Le Ral, âgé d’environ 78 ans, épouse en huitièmes noces une veuve de près de 30 ans sa cadette, Jeanne Le Caër, dont il est stipulé qu’elle est âgée d’environ 50 ans ! Le prêtre est sûrement interpellé par la vie matrimoniale tumultueuse de son paroissien car il précise que notre homme est « veuf d’une septième épouse » alors que, pour les autres mariages de veufs célébrés la même année, il se contente de mentionner qu’ils sont « veuf » ou « veuve » sans précision du nombre de veuvages. C’est d’ailleurs le cas pour la nouvelle épouse de François Le Ral, Jeanne Le Caër. Il faut dire que le fait n’est pas anodin, même dans la société de cette époque !
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1 Guy Cabourdin, « Le remariage », Annales de démographie historique. La mortalité du passé, 1978, p. 305.
2 Guy Cabourdin, « Le remariage », Annales de démographie historique. La mortalité du passé, 1978, p. 305.
La reconstitution de la vie matrimoniale de François Le Ral est assez haute en couleur. Sa première union est célébrée 55 ans plus tôt, en février 1694, toujours dans la paroisse d’Inguiniel, dont il paraît être originaire. Si l’on en croit le registre de cette année, François Le Ral est alors âgé d’environ 19 ans, ce qui le ferait naître vers 1675.
Sa dernière union donnerait une date plus proche de 1671. Malheureusement, les registres paroissiaux d’Inguiniel sont lacunaires pour l’époque de sa naissance et il faut donc se contenter d’une époque approximative de naissance, dans la première moitié des années 1670. On trouve cependant des naissances de ses frères et sœurs, notamment en 1682 et 1686. Son premier mariage l’unit à Françoise Le Corre. Deux enfants naissent puis on perd la trace du couple mais une lacune des registres pour les années 1698-1699 laisse supposer que Françoise Le Corre est décédée durant cette période.
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Les unions vont ensuite se succéder de façon régulière : François Le Ral se remarie en 1706, 1710, 1714, 1733, de nouveau 1733, 1742 et enfin 1749. Il semblerait qu’il soit décidément un ennemi farouche du célibat ! Le comble est sans doute l’existence de deux mariages rien qu’au cours de l’année 1733. Alors que Julienne Quemener, sa quatrième épouse, a rendu son dernier soupir le 12 décembre 1732, il se remarie deux mois plus tard, le 16 février 1733, dans la paroisse voisine de Lignol, avec Joséphine Le Cléanff, mais celle-ci décède le mois suivant, le 27 mars 1733 à Inguiniel. À peine deux mois après, le 20 mai 1733, François est de nouveau devant l'autel pour célébrer ses sixièmes noces avec Perrine Rousseau. De quoi donner le vertige ! En moyenne, ses mariages ne durent guère plus de 6 ans. Seule la quatrième épouse a eu plus de chance, si l’on peut dire, puisque son mariage a duré 18 ans, un véritable record pour François Le Ral.
De façon assez surprenante, François Le Ral ne semble pas avoir laissé de descendance qui aurait atteint l’âge adulte, malgré cette vie mouvementée. Deux enfants sont nés de son premier mariage avec Françoise Le Corre, un de son deuxième mariage avec Françoise Perrot et deux de son troisième, avec Françoise Scolan. Les trois derniers sont tous décédés en bas âge. Les deux premiers n’ont laissé, hormis leur baptême, aucune trace documentaire ensuite, ce qui laisse également penser qu’ils sont probablement morts durant leur plus tendre enfance.
Au terme d’une vie plus qu’agitée et tombé dans la misère - son acte de sépulture précise qu’il est mendiant -, François Le Ral s’éteint le 26 décembre 1754, âgé d’un peu plus de 80 ans, chez un laboureur de Plouay, paroisse voisine d’Inguiniel, qui l'hébergeait. Cette longévité est, elle aussi, assez exceptionnelle pour l’époque et il faut donc croire que le mariage a réussi à François Le Ral, bien plus qu’à ses épouses en tout cas ! Sa huitième et dernière épouse,
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Jeanne Le Caër, lui survit durant un peu plus de 10 ans et rend son dernier souffle dans la paroisse de Lignol en mars 1765.
L’exemple de François Le Ral est assez inhabituel du fait du nombre important de mariages. Cependant, il est aussi un témoignage supplémentaire de la fréquence du remariage dans la société de cette époque. Les exemples étudiés par Guy Cabourdin permettent de relever des taux de 25 à 30 % de remariages parmi l’ensemble des mariages célébrés durant la première moitié du XVIIIe siècle3.
Il s’agit néanmoins, le plus souvent, de deuxièmes ou troisièmes unions. Ainsi, à Tourouvre-au-Perche, seuls 2 % des remariages se trouvent être des cinquièmes noces et « par la suite, il semble qu’ils se raréfient »4 Avec ses huit unions, François Le Ral n’entre donc pas dans les cas les plus communs !
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3 Guy Cabourdin, « Le remariage… », article cité, p. 314.
4 Ibid., p. 310.
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